eStorial de la frontière lorraine
 
Histoire d’une frontière
Extrait du livre "Les Passeurs"  par F.Petitdemange et JF Genet



La Moselle et la Meurthe-et-Moselle sont deux  départements voisins que l'Histoire contemporaine a souvent séparé. Les guerres de 1870, 1914-1918 et 1939-1945  ont en effet éloigné puis rapproché à  deux reprises ces territoires lorrains.

La défaite militaire française  de 1870 ampute la vieille nation française de territoires  progressivement intégrés dans le royaume des Bourbons  entre 1552 et 1766 . Elle marque aussi la victoire des Prussiens  qui réalisent l'unité allemande tout en incluant  dans leur empire l'Alsace et la Moselle, cédées  par les Français en échange de la paix. La nouvelle  frontière franco-allemande, longue de 285 km, part du  Luxembourg et rejoint la frontière suisse. Mais elle ne  se juxtapose pas sur toute sa longueur avec la ligne administrative  délimitant jusqu'en 1871 les deux départements  de la Moselle et de la Meurthe. Les tractations liées  à la rédaction du traité de Francfort provoquent  en effet un redécoupage territorial qui fait disparaître  la Meurthe et donne naissance à la Meurthe-et-Moselle.  Celle-ci qui récupère les districts de Longwy et  de Briey en échange de ceux compris entre Château-Salins  et Sarrebourg, cédés à la Moselle annexée.  Le petit village de Joeuf est arraché à la Moselle  et devient une commune frontière. Ces modifications sont  encore lisibles aujourd'hui sur les cartes de France qui laissent apparaître un Pays Haut bien éloigné de Nancy,  le chef-lieu choisi par les révolutionnaires en janvier  1790 pour la Meurthe. A l'image du pays de Bitche, Finisterre  mosellan tourné vers l'Est, qui est tout aussi éloigné  de Metz.

 

Une frontière matérialisée  par des bornes
 
Longue d'environ 150 km, la limite entre ces  deux départements est restée figée depuis  le traité signé le 10 mai 1871, laissant à  ces territoires des formes particulières bien éloignées  des vux de leurs concepteurs. Cet héritage du passé,  dont l'empreinte reste gravée dans la cartographie, est  également encore visible dans le paysage. La nouvelle  frontière séparant la République française  du Reich allemand a été matérialisée  par des bornes en pierre enfoncées dans le sol à  intervalles réguliers. Celles qui n'ont pas été  enlevées sont les vestiges d'une volonté germanique  de matérialiser les fruits de la victoire militaire.

Cette première annexion dure près  d'un demi siècle. Les cinq sixièmes de la Moselle  et le tiers de la Meurthe françaises sont passés  à l'Allemagne. La totalité de l'espace annexé  est appelé " Alsace-Lorraine " et se trouve intégré dans la Terre d'Empire, le Reichsland d'Elsass-Lothringen,  un ensemble régional placé sous l'autorité d'un gouverneur fixé à Strasbourg. Le traité  de Francfort reconnaît aux habitants originaires des pays  annexés le droit de rester Français à condition  de faire une déclaration d'option avant le 1er octobre  1872. Finalement les optants ont l'obligation de transférer  leur domicile en France.

Sur 520 000 Lorrains des territoires annexés,  plusieurs dizaines de milliers préfèrent l'exil  et passent la nouvelle frontière. Des familles entières  se transplantent à Joeuf. Metz se vide d'une partie de  son élite administrative, artistique et intellectuelle.  Le libraire Félix Alcan vend son fonds au Luxembourgeois  Even et s'installe comme libraire-éditeur à Paris  Les Mosellans exerçant des professions libérales  sont nombreux à opter pour la France alors que les milieux  ruraux restent plutôt à l'écart d'un tel  choix. Des Lorrains de Metz et du pays messin viennent habiter  Nancy et la vallée de la Moselle. Nancy est le grand bénéficiaire  de ce flux de population qui commence dans les années  1870 et se poursuit sur plusieurs décennies. La vallée  de la Moselle est le principal lieu de passage de cet exode qui  prend la route mais aussi la voie de chemin de fer, ouverte le  10 juillet 1850 entre Metz et Nancy. Des activités industrielles  et commerciales sont également transférées  en dehors de la partie annexée comme à Joeuf ou  à Pont-à-Mousson.

 

 

Les stands s'installent à la vue  des douaniers

Dans les gares et dans les postes frontaliers  routiers s'installent des douaniers français et allemands.  Les poteaux-frontières en fonte qui portent l'aigle impérial  matérialisent le changement de souveraineté sur  trois départements de l'est de la France. Entre Gravelotte  et Doncourt-lès-Conflans, c'est un poteau surmonté  d'un panneau " frontière " qui apparaît.  C'est une frontière ouverte qui favorise le commerce local  comme par exemple celui de la boucherie Humbert à Arnaville.  Le café de la douane qui borde les routes annonce sa proximité.  Une frontière qui attire ceux qui veulent faire des affaires  dans un sens ou dans l'autre suivant la fixation des taxes douanières.  On vend et on achète les produits que l'on ne trouve pas  dans son pays ou qui sont moins chers comme la viande. Les stands  s'installent à la vue des douaniers. Une taxe qui est  imposée ou qui augmente et ce sont les petits contrebandiers  ou contrebandières qui se multiplient.


Les Allemands de Metz vont à Nancy  voir la place Stanislas. On visite les champs de bataille et  on honore les morts parfois inhumés chez " l'ennemi  " comme à Saint-Privat-la-Montagne ou Gravelotte.  De Meurthe-et-Moselle on va rendre visite à la famille  restée en pays annexé. Entre 1887 et 1891, Bismarck  exige que l'on présente un passeport à l'entrée  du " Deutsches Reich " afin de limiter les contacts  entre les familles séparées. Ceux qui n'en possèdent  pas empruntent par exemple le chemin des vignes entre Arnaville  et Novéant pour se rendre à Metz. Mais on se contente  parfois de s'en approcher sans vouloir la franchir. Pour y écouter  de jeunes filles habillées en Lorraine chanter les airs  du pays, ou pour s'y faire photographier.

Les cartes postales du début du XX°  siècle, dont une collection s'institule " La Frontière  illustrée ", ont ainsi immortalisé des scènes  de la vie quotidienne laissant transparaître une atmosphère  festive sous l'il goguenard des douaniers allemands et français.  Une fête et un enthousiasme partagés des deux côtés  de la frontière lorsque les coureurs du Tour de France  la franchissent lors de l'étape qui les fait passer par  Metz.


Trois ans après sa création,  les coureurs pénètrent par la frontière  de Longwy en 1906, lors de l'étape Douai-Nancy. En 1908  lors de l'étape Roubaix-Metz, les coureurs passent à  Sainte-Marie-aux-Chênes pour rejoindre Metz et prendre  une nuit de repos avant l'étape Metz-Belfort en passant  par Nancy. En 1910, lors de l'arrivée des cyclistes, le  comte von Zepellin, président de Lorraine, est fidèle  au rendez-vous. Source de curiosité et même d'animation,  cette frontière transforme aussi la composition de la  population locale. Les fonctionnaires de souche allemande, comme  ceux de la douane, se fixent sur place d'autant plus facilement  qu'ils se marient avec les filles du coin comme des douaniers  de La Lobe avec des filles d'Arry. Ainsi se forment des couples bilingues.



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